Date de la dernière mise à jour de l'article : 08/09/2021
I - L'élevage et la consommation d'eau
Attention à bien comprendre la méthodologie utilisée pour obtenir les différents chiffres, qui englobe tous les types de consommation d’eau et a tendance à « gonfler » les valeurs.
1 - Combien d'eau consomme l'élevage dans le monde ?
Publication de référence pour cette partie : Steinfeld, H., Gerber, P., Wassenaar, T. D., Castel, V., & De Haan, C. (2006). Livestock's long shadow: environmental issues and options. FAO. [1]
D'après le rapport Livestock's Long Shadow [1], l'élevage est un secteur qui utilise une part importante de la ressource en eau mondiale, c’est-à-dire environ 8% de l'eau utilisée par l'homme. La majeure partie de cette eau est utilisée pour l'irrigation des cultures servant à l'alimentation des animaux, ce qui représente environ 7%. L'eau restante (utilisée pour la production, l'abreuvement etc.) représente une part faible, mais pouvant devenir importante dans des zones arides (l'abreuvement des animaux représente 23% des besoins en eau totaux du Botswana). Il faut bien sûr garder à l'esprit que les conditions sont très différentes selon les pays, y compris la France, et les chiffres observés à l'échelle mondiale ne peuvent pas être généralisés.
[2] Corson, M. S., & Doreau, M. (2013). Evaluation de l’utilisation de l’eau en élevage. INRA Prod. Anim, 26(3), 239- 248.
[3] Gerbens-Leenes, P. W., Mekonnen, M. M., & Hoekstra, A. Y. (2013). The water footprint of poultry, pork and beef: A comparative study in different countries and production systems. Water Resources and Industry, 1, 25- 36.
[4] Chouteau, A., Disenhaus, C., Brunschwig, G., 2018. Place de l’élevage dans l’enseignement : Analyse des contenus des programmes de formation ainsi que des manuels scolaires. Rapport d’étude, GIS Avenir Elevages, 16p.
[5] Mekonnen, M. M., & Hoekstra, A. Y. (2010). The green, blue and grey water footprint of farm animals and animal products (Vol. 1). Delft: UNESCO-IHE Institute for water Education.
[6] Ran, Y., van Middelaar, C. E., Lannerstad, M., Herrero, M., & de Boer, I. J. (2017). Freshwater use in livestock production—To be used for food crops or livestock feed?. Agricultural Systems, 155, 1-8.
Mesurer la consommation d'eau nécessaire à la production de certains produits n'est pas toujours évident. Selon la façon de mesurer, les chiffres peuvent varier énormément [2] , c'est pourquoi il faut également s'intéresser à la méthodologie utilisée pour les obtenir. Selon le pays d'étude, les résultats peuvent également varier étant donné les conditions d'élevage variables (type d'élevage [3] , présence d'irrigation, surfaces cultivées, pâturage …)
Les chiffres que l'on retrouve dans les manuels scolaires sont très variables [4] et de source généralement inconnue. Les chiffres les plus souvent repris sont ceux qui sont diffusés par le Water Footprint Network [5] :
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Ces chiffres ne devraient pas être diffusés sans explications, car ils peuvent porter à confusion. En effet dans la méthode de calcul utilisée, on comptabilise trois types d'eau : l'eau bleue, celle qui est prélevée pour abreuver les animaux, irriguer, ou laver les installations, l'eau grise, qui est la quantité d’eau théorique nécessaire pour le traiter des eaux usées, et l'eau verte, qui est l'eau de pluie qui tombe sur les parcelles dédiées à l'élevage des animaux. L’ensemble donne un nombre de litres d’ « eau virtuelle » nécessaire en moyenne pour produire différents types d’aliments (ou d’autres produits).
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Sur les 15 500 L d'eau nécessaires pour produire 1kg de bœuf, 93% est en réalité de l'eau de pluie tombée sur les parcelles. Cette eau serait tombée avec ou sans la présence d'animaux, et n'a pas été prélevée sur le réseau d'eau potable (voir encadré) : elle ne constitue pas un dommage à l’environnement (au sens d’atteinte à la ressource ou aux écosystèmes).
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En considérant uniquement les consommations d'eau bleue et d'eau grise, les écarts de consommation sont beaucoup moins importants. On peut également noter que les chiffres diffusés sont ceux correspondant à des moyennes mondiales. La consommation d'eau tout type confondu est environ deux fois moins élevée en France pour presque toutes les productions animales.
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Enfin, la méthode de calcul utilisée induit un biais : des élevages plus extensifs avec par exemple un accès à l’herbe ont des consommations d'eau par kilo de produit plus importantes, car la surface dédiée à l'élevage est plus importante (donc plus d'eau de pluie tombe dessus)[6] . Cela signifierait que pour réduire l’empreinte eau de l’élevage, il faudrait élever les animaux en bâtiment. En revanche, si l’on considère uniquement l'eau bleue et l'eau grise, les rapports sont inversés.
Comment estimer la consommation d'eau ?
ll existe plusieurs méthodologies d’évaluation des consommations d’eau. Elles comptabilisent différents types d’eau (parfois uniquement l’eau bleue, parfois un agrégat eaux bleue et verte) et utilisent des indicateurs différents (niveau de consommation, productivité, stress hydrique). De ce fait, la littérature scientifique présente une grande variabilité de résultats difficilement comparables compte tenu de la diversité des méthodes. Le choix de la méthode d’évaluation de la consommation d’eau (empreinte eau vs. analyse du cycle de vie) influence de manière considérable le classement des résultats par espèce et par système de production.
D'après Dumont B. (coord), Dupraz P. (coord.), Aubin J., Benoit M., Bouamra-Mechemache Z., Chatellier V., Delaby L., Delfosse C. Dourmad J.Y., Duru M., Frappier L., Friant-Perrot M., Gaigné C., Girard A., Guichet J.L., Havlik P., Hostiou N., Huguenin-Elie O., Klumpp K., Langlais A., Lemauviel-Lavenant S., Le Perchec S., Lepiller O., Méda B., Ryschawy J., Sabatier R., Veissier I., Verrier E., Vollet D., Savini I., Hercule J., Donnars C., 2016, Rôles, impacts et services issus des élevages en Europe. Synthèse de l’expertise scientifique collective, INRA France. P43
Méthode
Pour aller plus loin sur les méthodes d’évaluation :
Certaines études ayant étudié les différentes méthodes d'évaluation de la consommation en eau ont abouti à la conclusion que la pénurie en eau pouvant être causée par les élevages dépend de la consommation d’eau bleue [7] . Depuis 2014, l’ « empreinte eau » fait l’objet d’une norme ISO (14046) qui prévoit que celle-ci désigne les impacts sur la ressource en eau (en quantité et qualité), par analogie à l’empreinte carbone, en raisonnant sur le cycle de vie et en terme d’impact sur l’environnement.
Depuis 2018, une méthode consensuelle au niveau international appelée AWARE [8] existe pour fournir des coefficients d’impact pour les différentes zones du monde et en fonction des usages (agricole ou non) pour calculer les empreintes eau selon la norme.
Comme on l’a vu il existe différentes méthodes pour estimer les quantités d’eau utilisée par l’élevage. Toutes ces méthodes n’incluent pas les mêmes choses et les chiffres sont donc difficilement comparables. Si l’on revient aux fondamentaux, on peut se pencher simplement sur la quantité d’eau utilisée par les éleveurs. Par exemple une étude conduite par l’Institut technique de la filière porcine (IFIP) conclut qu’il faut 15,5 L/kg de carcasse dans le cas d’un élevage de porcs (pour l’abreuvement et l’entretien des bâtiments) [9]
[7] Corson, M. S., & Doreau, M. (2013). Evaluation de l’utilisation de l’eau en élevage. INRA Prod. Anim, 26(3), 239- 248.
[8] Boulay A-M, Bare J, Benini L, et al (2018) The WULCA consensus characterization model for water scarcity footprints: assessing impacts of water consumption based on available water remaining (AWARE). Int J Life Cycle Assess 23:368–378. doi: 10.1007/s11367-017-1333-8
[9] Massabie, P., Roy, H., Boulestreau-Boulay, A. L., & Dubois, A. (2014). La consommation d’eau en élevage de porcs. Des leviers pour réduire la consommation d’eau en élevage de porcs. Report from the French Pork and Pig Institute (IFIP).
Publication de référence pour cette partie : Extrait de la synthèse " Rôles, impacts et services issus des élevages européens" de l'INRA [10]
«La consommation d’eau bleue peut diminuer en favorisant des cultures non irriguées (ou moins irriguées) destinées à l’alimentation de bétail et en favorisant le pâturage des ruminants. Certains travaux préconisent de jouer sur la physiologie des animaux : augmenter leur vitesse de croissance ou diminuer l’indice de consommation des animaux ; cependant comme ce fut le cas pour l’adaptation des animaux aux objectifs « productivistes », envisager des modifications physiologiques ou comportementales au nom d’un intérêt « environnemental » pose un problème d’éthique.»
Il existe également des moyens techniques de limiter la consommation d’eau en élevage : veiller à limiter les gaspillages à l’abreuvement, traquer les fuites, recycler, utiliser les eaux de toiture… [11]
[10] Dumont B. (coord), Dupraz P. (coord.), Aubin J., Benoit M., Bouamra-Mechemache Z., Chatellier V., Delaby L., Delfosse C. Dourmad J.Y., Duru M., Frappier L., Friant-Perrot M., Gaigné C., Girard A., Guichet J.L., Havlik P., Hostiou N., Huguenin-Elie O., Klumpp K., Langlais A., Lemauviel-Lavenant S., Le Perchec S., Lepiller O., Méda B., Ryschawy J., Sabatier R., Veissier I., Verrier E., Vollet D., Savini I., Hercule J., Donnars C., 2016, Rôles, impacts et services issus des élevages en Europe. Synthèse de l’expertise scientifique collective, INRA France. P43
[11] Gac, A., Ménard, J-L., Moreau, S. (2018). Water consumption and water footprint in dairy systems : assessments to highlight ways of improvement with farmers.
Question de débat :
Veut--on des animaux qui vivent plus longtemps (comme les bovins), avec plus d'espace (en plein air par exemple) mais qui du coup consomment plus d'eau, d'aliments et de ressources, ou un système plus productif, avec des animaux qui grandissent vite, mais qui est contraire aux attentes de la société ?
Cette question est valable pour l’utilisation de l’eau, mais nous verrons qu’elle est également valable pour d’autres sujets.
La consommation d'eau virtuelle en élevage d'après Mekonnen, M. M., & Hoekstra, A. Y. (2010). The green, blue and grey water footprint of farm animals and animal products (Vol. 1). Delft: UNESCO-IHE Institute for water Education.
Consommation en eau virtuelle des différents types de production alimentaires.
Répartition des types d'eaux consommées pour produire les aliments (vert = eau de pluie, bleue = eau utilisée, grise = eau de traitement)
Répartition des types d'eaux effectivement consommées pour produire les aliments (eau consommée (bleue) et de traitement (grise))
Nature de l'eau bleue utilisée ou restituée en élevage, d'après Corson, M.S. & Doreau, M. (2013)